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Publicité en ligne : « ces sursollicitations peuvent augmenter l’irritation, la fatigue et l’énervement »

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À Angers, le projet de recherche ETIC étudie les effets des images digitales sur les consommateurs. Sandra Camus, professeure à l’université d’Angers en science de gestion et de management est la coordinatrice du projet, elle nous en dit plus sur les hypothèses d’ETIC.

Le projet Etic (EffeTs des Images digitales sur les Consommateurs) est financé par l’ANR (Agence Nationale de Recherche). Il mobilise des chercheurs français, une chercheuse belge et une chercheuse canadienne. Sandra Camus, professeur en sciences de gestion et du management à l’université d’Angers/Esthua est aussi directrice du laboratoire GRANEM (Groupe de Recherche Angevin en Economie et Management). Elle est également la coordinatrice d’ETIC.

Com&Médias : ETIC a pour but d’étudier les effets des images digitales, mais surtout les effets négatifs. C’est-à-dire ?

Sandra Camus : L’idée est de travailler sur l’impact d’une image publicitaire qui apparaît sur un écran de manière inopinée alors qu’on ne l’a pas particulièrement souhaité. Ça peut être une bannière publicitaire ou un pop up par exemple. En fait, c’est toutes ces images qui apparaissent sur un écran au moment où, en tant qu’internaute, vous êtes en train de faire une activité. Parfois, on peut se sentir perturber, ou non, parce qu’on se dit qu’on ne va pas y faire attention, mais, mine de rien, c’est quelque chose qui est là, qui apparaît, et qu’on n’a pas désiré.

C&M : On entend souvent des personnes dire que les pubs en ligne ne les influenceraient pas. Mais en réalité, le simple fait de les voir serait une influence ?

S.C : Il y a plusieurs cas de figures. Il y a l’internaute qui a vu ce qu’il se passait, qu’il y avait de la publicité et qui en a conscience. Il va donc réagir en fonction de ce qu’il a vu, regarder le contenu qui va l’intéresser ou non. Dans ce cas, tout est conscientisé et analysé par l’internaute.

Et il y a les autres cas où l’internaute exprime le fait qu’il n’a pas vu la publicité, qu’il n’y a pas fait attention ou qu’il ne l’a pas regardé. Ça, c’est les cas qui nous intéressent le plus, parce qu’en fait, on veut savoir s’il n’y a pas de sujet implicite, de traces mnésiques, c’est-à-dire des traces dans la mémoire des internautes. Concrètement, quand une publicité arrive, par exemple un pop up, on peut déclarer qu’on l’évite. Mais finalement, en réalité, est-ce que je l’ai vraiment évité ? Et quand je l’évite, j’ai une activité cognitive qui se met en marche. Soit je la rejette mais ça demande un effort de la repousser, de ne pas la regarder. Cet effort, c’est ça qui nous intéresse.

C&M : Quelles sont ces traces laissées dans la mémoire par les publicités en ligne ?

S. C : C’est variable, ça peut-être quelques jours, quelques semaines, voire quelques mois. Nous, on veut montrer qu’être régulièrement exposé à des écrans et régulièrement exposé à des images/sollicitations publicitaires de manières répétées génère de la charge mentale.

Ce qui fait qu’après une journée où on a passé 5 à 8 heures devant un écran (ordinateur, tablette, portable), on va être irritable, énervé, fatigué. Et, si on a été exposé de manière plus importante à ces sollicitations publicitaires, notre hypothèse est de dire que ces sollicitations augmentent encore plus l’irritation, la fatigue, l’agacement, l’énervement des individus. Ce n’est pas si anodin que ça. Et ça prend de la place dans la mémoire des individus.

C&M : Est-ce qu’on peut quantifier le temps moyen où une pub reste en mémoire ?

S.C : Très concrètement, ça peut ne pas rester en mémoire. C’est-à-dire qu’il y a des personnes qui vont réussir à faire abstraction totale de ces images publicitaires. Mais ça peut dépendre de plein de choses : de l’individu en tant que tel, mais surtout du moment où l’individu est exposé à ces publicités, de son état d’esprit, de son état de vigilance, de sa capacité attentionnelle. Tout ça va jouer sur la mémorisation.

Ça dépend aussi de la stratégie des marques, des annonceurs et de leurs publicités. Si par exemple, elles sont discrètes, dans un coin, qu’elles ne viennent pas trop perturber le texte que l’internaute est en train de lire, les pubs auront moins d’effets. Mais, il suffit qu’une publicité prenne une place plus importante, avec une luminosité plus forte, qu’elle soit plus dynamique et là, il y aura plus d’effets sur la mémorisation. L’effet de répétition est aussi une chose qui fera qu’elle restera plus en mémoire.

C&M : Est-on plus nombreux à avoir des traces de publicité dans nos mémoires ou est-ce l’inverse ?

S.C : A partir du moment où on est exposé à un écran avec des images publicitaires, rares sont les personnes qui ne mémorisent pas au moins un tout petit peu. Ou au moins, l’internaute a conscience qu’il y a eu une pub. Après, est-ce qu’il retient le nom de la marque, les couleurs, la catégorie de produits vantés, c’est à voir car ça dépend de beaucoup de facteurs.

C&M : Si tout cela affecte notre charge mentale et que nous sommes quasiment tous amenés à nous souvenir des pubs, est-ce que nous ne sommes pas dans un phénomène relevant du problème de santé public ?

S.C : On n’en est pas loin. Et c’est aussi l’objectif de nos recherches : comprendre les effets pernicieux de l’intrusion publicitaire et de sensibiliser les annonceurs, même si je crois que ça va être difficile. Mais je pense qu’ils peuvent au moins prendre en considération certains aspects, parce que ça peut être aussi contre-productif pour eux et même aller jusqu’à générer des attitudes négatives à l’égard de la marque. L’internaute peut, par exemple, se dire « Encore cette pub ? Je n’en peux plus, je la vois tout le temps ». Alors oui, on va mémoriser, mais de manière négative, alors que peut-être qu’avant la surexposition, je percevais la marque de manière favorable et plus après.

En plus des annonceurs, le but est aussi de sensibiliser les pouvoirs publics. Ça commence à bouger au niveau européen, il y a des choses qui sont travaillées, mais qui ne protègent pas encore assez les internautes.

C&M : Si je suis un annonceur et que je prends conscience des possibles conséquences négatives de la publicité digitale, qu’est-ce que je peux faire pour avoir un usage plus éthique ?

S.C : C’est une bonne question. On a interrogé des annonceurs, des acteurs de la communication et ce n’est pas simple. Je pense ce n’est pas sur ce niveau micro économique que ça va fonctionner. C’est plus un phénomène macro, des actions politiques doivent être mises en place. La régulation de ce type de contenus pernicieux pour les consommateurs ne peut pas s’absoudre d’une réglementation étatique ou gouvernementale. On ne pourra pas y arriver sans.

Propos recueillis par Marie Roy

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